« Koh-Lanta m’a fait passer pour une voleuse devant des millions de téléspectateurs »
Nathalie Lapicque a conservé tous les souvenirs de sa participation au jeu télévisé. – © Etienne COLIN
Alors qu’elle avait 28 ans, Nathalie Lapicque, de Colombier, a participé au célèbre jeu qui vient de boucler sa 24e saison. Si le rêve à l’époque est devenu réalité, vingt ans après, cette expérience lui laisse toujours un goût amer.
La 24e aventure des naufragés de Koh-Lanta s’est achevée mardi soir. En Haute-Saône, une candidate est passée tout près de l’épreuve des poteaux, avant d’être éliminée lors de la finale du jeu d’orientation. Cet épisode diffusé semaine dernière, n’est pas passé inaperçu au foyer de Nathalie Lapicque et son conjoint Mickael Belleney, à Colombier. « On a regardé cette saison quand on a vu qu’il y avait une Haut-Saônoise », reconnaît la maîtresse de maison, directrice du Centre de formation et d’apprentis de Haute-Saône. « Ça m’a replongée vingt ans en arrière quand, en 2004, j’étais à sa place au Panama ». Les souvenirs ont ressurgi. Les bons comme les mauvais.
Des Vosges à Paris en passant par Miami
Nathalie Lapicque est alors âgée de 28 ans quand elle remplit le questionnaire du jeu qui, depuis quatre ans, fait les beaux jours des divertissements de la chaîne TF1. Elle est alors conseillère principale dans un collège des Vosges d’où elle est originaire. Sportive, la jeune femme pratique l’équitation, le ski et le volley en compétition au niveau régional.
« Et puis la société de production Adventure Line Production me répond que je suis retenue parmi les candidats. » Le rêve devenait réalité. « Seuls mes parents et mon petit copain savaient. Je devais être très discrète m’avait-on signalé ». En février, elle décolle de Paris avec escale à Miami et enfin un atterrissage à Panama, cordon ombilical entre l’Amérique du Nord et du sud. Dans l’anonymat complet, elle rejoint un hôtel, sans avoir le droit de sortir de sa chambre. « Je n’ai croisé personne.
Ce n’est que le lendemain que je suis tombée sur deux candidats dans un autre hôtel. On a discuté deux minutes et de nouveau, on a été séparés ». Après avoir signé ce qui était à l’époque, un règlement* de jeu de plusieurs pages, elle remplit son sac d’aventurière d’effets personnels, dont deux maillots jaunes et rouges. À son arrivée sur l’île, elle intègre l’équipe des jaunes des Chapera, formée de huit femmes. « On a appris en effet que lors de cette saison, huit hommes seraient confrontés à huit femmes », se souvient la quadragénaire. Rapidement et dès le premier jour, elle crée des liens avec quatre filles de son équipe.
Elle cite : « Vicky, Amélie, Odile et Catherine ». Aujourd’hui encore, elle a gardé contact avec ses copines d’aventure. Leadership, la jeune vosgienne prend assez vite les choses en main en devenant, la première semaine, l’architecte d’une cabane confortable. « Au début, j’ai beaucoup observé. Je ne faisais pas de vague et me faisais oublier. Ma hantise était de me faire sortir en premier. C’était la peur de tout le monde ». Arrive le premier jeu où son équipe remporte le feu. « Je vois encore Vicky brandir le flambeau », sourit-elle un brin nostalgique.
« J’ai appris à avoir faim »
Puis rapidement, les quelques bulots dénichés sur la plage et le maigre riz consommé par jour, torturent son ventre affamé. « On s’était rationné à 20 g par jour. La première semaine a été la plus difficile. J’ai eu des crampes d’estomac assez douloureuses. Mais on construisait la cabane, alors je pensais à autre chose ». Problème, la femme s’ennuie assez vite. « C’est encore le cas vingt ans après (elle rit). Je n’aime pas l’oisiveté. J’aime bouger, m’occuper de mes chevaux (Ndlr : le couple est propriétaire d’un élevage et d’une écurie pour propriétaires à Colombier) et je viens de la montagne alors le sable, la mer, les palmiers… je me suis vite lassée. » Au bout de dix jours, elle a le mal du pays, de ses parents, et son ventre crie famine, quand un coup de théâtre vient ébranler son équipe. « Denis Brogniard (Ndlr : animateur depuis la saison 2) nous informe que deux hommes allaient nous rejoindre. Ça a été le début de la fin ». Arrive un certain Raphaël, qui s’illustrera plus tard en pêchant un petit requin. Le Bourguignon décrit comme malin et calculateur, démontrera ensuite le fin stratège qu’il a été au détriment de la petite Vosgienne, qui n’a rien vu venir.
« Quand il est arrivé, on a changé d’île. Je perdais mes repères, ma cabane et mon statut de leader, car il nous avait prévenues qu’il pêcherait de quoi nous nourrir et qu’on n’avait pas intérêt à l’éliminer ». Sur son nouveau bivouac, elle se fait dévorer par des moustiques quand le nouveau chef brille et prend toute la place. Sa copine Vicky sort au prochain conseil, à sa demande. Elle explique : « Elle n’en pouvait plus et nous avait demandé de voter contre elle, ce qu’on a fait ». Elle se souvient aussi que la production avait tenté de la remonter contre elle. Elle explique : « À Koh-Lanta, on est filmé par des équipes de cameramen et perchistes qui nous posent des questions. » Ce sont les fameuses interviews en catimini qui terminent dans les épisodes et donc à la TV. « Au début, c’étaient des stagiaires, ils étaient cool, puis au fil des jours, ils ont envoyé des équipes dont le but était de nous déstabiliser, voire de nous retourner l’un contre l’autre. » Le nom de celle chargée de semer la pagaille est sans appel. Il s’agit des « requins ». Nathalie, épuisée, décide à son tour de quitter l’épreuve au bout de vingt jours. C’est alors qu’elle va vivre une expérience qui révèle les ficelles du jeu dont dépend l’audimat. « J’avais demandé à voir un psychologue car j’étais au plus mal. Je ne supportais plus les conditions de vie et je voulais m’en aller. » La production refuse la rencontre avec le psy. C’est alors qu’elle en appelle à son équipe pour voter contre elle. Ça avait fonctionné avec Vicky, il n’y avait pas de raison que ça ne marche pas pour elle. La suite de l’aventure va tourner au cauchemar et ce, devant des millions de téléspectateurs.
Une carte volée finit dans son sac
Le fameux conseil arrive. Nathalie Lapicque est contente, elle va pouvoir quitter le jeu. Elle relate : « Tout le monde est assis le fameux soir. Il fait nuit et tout à coup, Denis Brogniard me prend à partie en brandissant une carte de la première île des rescapés jaunes, en déclarant que je l’avais volée ! » Explications : cette carte avait été donnée par l’organisation au début du jeu pour se repérer sur l’archipel. « Raphaël voulait la récupérer et comme je quittais le jeu, il m’a demandé de lui sortir. Il me disait, prends-la, je pourrai la revendre », explique-t-elle. « Moi je m’en fichais. Je ne la voulais pas et d’ailleurs je n’avais pas de place dans mon sac, car j’avais ramassé des coquillages pour l’aquarium chez mes parents ». Et là, le fameux Raphaël lui aurait dit : « T’inquiète, je la mets dans ton sac ». En lien sans doute avec la production, il a, en réalité donné l’objet à l’organisation, en faisant passer la concurrente pour une voleuse. Tout le monde a voté contre elle pour la punir de cette histoire de « carte volée ». La séquence a été diffusée sur petit écran devant six millions de téléspectateurs. Le choc !
Elle quitte le conseil, mais elle n’est pas bien. Plus tard, elle posera des mots sur des pages blanches pour expliquer cette trahison. Extrait : « J’étais à la fois déçue de mes coéquipiers et en colère contre Raphaël […] Ma fierté a pris une grosse claque. J’étais comme un gosse pris la main dans le sac […] Raphaël allait passer pour le débrouillard, bricoleur, plein d’humour et moi la méchante, la voleuse, la faible ». Elle en est convaincue, même vingt ans après, le « traître » avait tout manigancé pour asseoir sa supériorité. Aujourd’hui, si cet épisode est (presque) oublié, il lui arrive encore de croiser des gens dans la rue qui lui lancent : « Ah, c’est vous la voleuse de carte ! »
« J’ai appris à vivre avec. Aujourd’hui, j’ai bientôt 50 ans et je suis passée à autre chose, mais quand même, quelle belle injustice ». Pas certain qu’en 2024, une telle mésaventure laissant de telles traces indélébiles, passerait toujours entre les mailles de l’opinion public.
L’ex-candidate possède de ses placards un dossier cartonné baptisé « Koh-Lanta 2004 ». À l’intérieur, la casquette du jeu avec le célèbre logo, des dizaines d’articles de presse locale et nationale avec dessus sa photo. Pas un n’a révélé les dessous de Koh-Lanta et de sa sortie scénarisée.
De cette expérience, elle ne regrette rien. « J’ai appris la faim et à ne pas être matérialiste. Ton canapé que tu détestais, à présent tu l’adores et les gens autour de toi, ta famille, tes amis, prennent encore plus d’importance. Oui, mes parents m’ont manqué ».
Elle retient cette phrase du psychologue à sa sortie de jeu. « Il m’a dit, entre ce que tu as vécu et ce qui passera à la télé, ce sera bien différent. Il ne s’est pas trompé. »
* En 2009, les Prud’hommes ont condamné la société de production Adventure Line Production à reconnaître le statut de travailleurs à sept participants, et à leur verser des salaires. Depuis cette date, les candidats sont salariés. Pour sa participation, Nathalie a gagné 23€ par jour de tournage, soit 506€.